Chats
numéros 8 et 9
En même temps que l’heure du rappel de vaccin, revient
le souvenir de la séance précédente où les deux animaux transportés en
automobile dans la noirceur de leur cage -pourtant aérée- avaient manifesté leur
désaccord par des cris de cochon qu’on égorge suivis d’une accélération
cardiaque notable que le vétérinaire avait mis dix bonnes minutes (assez
généreusement offertes) à calmer avant de procéder aux examens normaux.
A l’approche de la date fatidique, plus inquiet que
les chats qui visiblement ne se doutent de rien, on prend finement les devants,
en s’informant auprès de la professionnelle d’un éventuel moyen d’éviter les
désagréments sus-cités. A tout problème son remède, il est prescrit (et assez
généreusement facturée) une cure de Zylkène 75 mg à prendre pendant les cinq
jours qui précèdent. Vous verrez, c’est très appétant, nous précise-t-on. (Pour
les nuls « appétant » est un des vocables préférés de l’idiome
vétérinaire que l’on peut traduire vulgairement par « Ils vont trouver ça
tellement bon qu’ils se précipiteront pour les manger ». On se demande
parfois si ces gens-là ont déjà essayé de faire absorber une gélule à un
chat.). Avec ou sans appétence, le Zylkène 75 fait son effet et le transport
sur les lieux de la vaccination, comme l’acte lui-même se déroulent dans une
relative quiétude.
Comme une année s’est écoulée sans grand succès à
limiter la consommation alimentaire des deux morfals, auxquels on préfère
souvent céder la poignée de croquette (pour chats), ou le reste de foie gras (pas
du tout pour chats) de trop que d’en supporter les miaulements incessants, mordillements
et coups de tête (dont il est dit qu’ils sont des preuves d’affection mais dont
on constate bien qu’ils s’arrêtent quand la gamelle est remplie et reprennent
quand elle est vide), on redoute, comme le mauvais élève qui va passer au
tableau, l’heure fatidique de la pesée.
Chats
numéros 8
Peu de surprise pour Pollux (le plus affectueux
selon les critères retenus plus haut) qui a encore pris un demi-kilo.
Chats
numéros 9
Quant à Castor c’est avec fierté qu’on entend qu’il
a perdu quelques grammes. Tel le mauvais élève flatté d’avoir enfin une bonne
note, on évite d’avouer que sa cure de Zylkène a probablement été précédée d’un
jeûne forcé d’une petite semaine, période pendant laquelle il avait disparu de
nos radars.
Enfant
numéro 1
Se tourne, sac au dos mais visage à l’Est vers les
civilisations orientales. Elle parcourt avec son compagnon le Laos (où on
pourrait, -même si une journée semble un bien court délai- voir poindre les
prémices d’une amitié héréditaire), le Népal puis la Turquie où elle pose
dévorant un bretzel (ou serait-ce un simit ?) à côté du traditionnel vendeur
qui les transporte dans un grand plateau posé sur la tête.
Enfant
numéro 2
Part avec sa compagne vers l’Est mais plus à l’Ouest,
en Ardèche puis aux sources de la civilisation occidentale : la Grèce où
il pose en (demi) Dieu et en sirène qui rappelle plus celle d’Andersen que
celles pour lesquelles Ulysse s’est fait ligoter au mât de son navire. La photo
ne permet pas de connaître la qualité de son chant.
Enfants numéro 1 et 2
D’armoire normande trop grande en tancarville trop petit
(pour les nuls tancarville n’est qu’une antonomase, du nom de la ville de
Tancarville, et d’une marque de séchoirs à linge, sans doute inspirée par
l’analogie de forme entre le pont suspendu de Tancarville et ce type de
séchoir) donc d’armoire en autonomase, et d’autonomase en divergence sur l’art
d’assaisonner (ou pas) l’entrecôte saignante ou le soja grillé, et d’éteindre
ou pas la petite veilleuse de divers appareils ménagers qui consomme des joules
(pour les nuls le joule est l’unité d’énergie équivalente à 1 / 3.600.000 kilowattheure,
moins utilisée mais plus logique que ce dernier puisqu’utiliser le kwh c’est un
peu comme dire j’ai parcouru la distance que ma voiture qui roule à 100 km/h a
faite en 36 minutes, mais cela nous éloigne du sujet), d’apprécier les gens qui
tapent dans des ballons ronds ou courent après des ballons ovales, le climat se
détériore.
De l’extérieur, on imagine d’autres points de friction qui
provoquent l’usure (on exclut a priori l’historique antagonisme entre la Grèce
et la Turquie qui d’ailleurs se serait apaisé à l’occasion d’un tremblement de
terre). Là, les tremblements de terre ne sont pas salutaires, de non-dit en
silence, et de silence en hurlement, les chambres se bunkerisent et les parties
communes désertées deviennent des lieux de rencontre dangereux. On en sait et
en comprend juste assez pour comprendre que les deux couples ne sont plus
d’accord que sur un seul point : la rupture, et on s’interroge entre
autres sur le devenir de l’armoire normande et de l’autonomase.
Boulot numéro 1
Une classe nature permet aux
enfants et à leur institutrice de vivre quelques temps en milieu équestre, de
se promener dans les bois à la recherche des traces d’animaux sauvages, (tant
qu’y en a) et surtout de se frotter à et même de monter sur les chevaux qui
sont au centre du séjour. La visite au forgeron est pimentée d’un petit questionnaire
dont les plus rapides ramèneront un fer à cheval en récompense. L’institutrice
a des clous. Mais comme ce sont des clous de forgeron, ils permettront de
mettre en valeur sur la cheminée les fers à cheval issus de précédentes visites.
Boulot numéro 2
Ayant reçu en début d’année un premier décompte de
points susceptible d’alimenter une retraite dont on n’a jamais été aussi
proche, on avait regardé d’un œil sceptique mais distrait la somme proposée par
l’assurance retraite qui semblait nous assurer qu’elle serait plus difficile
qu’imaginé et qu’il serait plus prudent de la prendre dans un monastère bénédictin.
Une analyse plus poussée du
document montre que pour une grande partie de carrière, le décompte envoyé omet
la totalité des points Agirc. (Pour les nuls les sous -francs ou euros, ça ne
change rien au raisonnement- versés par certains salariés cotisants ne vont pas
tous dans la même tirelire : il y a le cochon des points Arcco, et quand
il est plein, ça va dans le cochon des point Agirc ; et donc en gros il me
manque un cochon).
Pour les super nuls qui n’ont
toujours rien compris, nous proposons deux options : ceux qui appartiennent
peu ou prou à la même génération feraient bien de s’y mettre sans trop tarder ;
les autres n’auront pas besoin de comprendre le point Agirc, qui va disparaître :
il leur suffira de savoir que pour convertir les points Agirc en points
Agirc-Arrco, il n’est que de multiplier le nombre de points Agirc par
0,347798289. Les beaucoup plus jeunes peuvent aussi avoir intérêt à investir
dans quelques fonds de pension.
Or donc, fort de cette toute
fraîche connaissance du fonctionnement de l’assurance retraite, on empoigne son
courage à deux mains et son téléphone de l’autre pour les lancer dans une série
de conversations qu’on imagine déjà longues, pénibles et itératives. On ne sera
pas déçu.
La première rencontre avec un
être humain est d’abord encourageante : « ah oui Monsieur, ce que
vous avez reçu n’est pas normal, mais ne vous inquiétez pas, moi je l’ai bien
retrouvé votre deuxième cochon » (pour les non nuls, on rappelle que le
cochon en question reste l’image choisie pour les points Agirc disparus).
« ‑ Ouf,
-répond-on en substance-, maintenant que vous avez retrouvé le cochon, vous
allez pouvoir regarder ce qu’il y a dedans et me dire combien je pourrai
réellement toucher en sous, francs ou euros ‑ Ah Monsieur avec plaisir, nous allons procéder à une mise à jour de vos
données et vous envoyer un décompte rectifié - Oui merci, et donc ça fait
combien ? ‑ Oh Monsieur,
ça ne devrait pas prendre plus de deux mois ‑ Euh oui, mais, en
fait… ‑ Voilà Monsieur et
bonne journée ».
On s’applique donc à rappeler à
intervalles d’environ deux mois l’organisme de retraite. Grâce à un certain
entraînement et une connaissance des pièges à éviter, le délai de mise en
relation avec le bon interlocuteur diminue, mais le délai supposé d’obtention
d’une réponse définitive semble suivre une courbe inversement proportionnelle.
Comme conséquence d’un « changement de système informatique », il ne
semble pas déraisonnable de tabler sur 6 mois pour connaître le nombre de
points dans le cochon retrouvé.
En désespoir de cause, on sollicite
via internet un tête-à-tête toujours et
encore téléphonique mais personnalisé avec un interlocuteur expert dans le
conseil du futur retraité.
Le mail de confirmation qu’on
reçoit dans les secondes qui suivent la prise du rendez-vous ne manque pas de préciser
les précautions à prendre pour bien préparer l’entretien, en insistant tout
particulièrement sur la nécessité de se munir de son nombre de points-retraite
à jour, donc de ses deux cochons.
En attendant la suite, par
crainte de lâcher quelques jugements définitifs sous le coup de la colère, on
choisit de ne pas répondre à l’enquête de satisfaction qu’envoie le
prestataire.
Voyages
A New-York, aux alentours de ce qu’il ne
faut plus appeler « ground zero », on est ému par les deux grands
bassins carrés creusés à la place des tours disparues. Ils sont entourés d’un
rebord en bronze où sont gravés les noms des victimes du 11 septembre et sur
lesquels de belles japonaises alanguies s’asseyent tout sourire dehors pour
prendre des selfies.
Blasé, on dédaigne
l’empire state building, mais on fait des kilomètres à pied pour apercevoir une
statue de Lénine et la cathédrale St-John the Divine, dite St John the
Unfinished. On retourne chez Tiffany’s faire réparer un bracelet endommagé.
Très pro, le bijoutier fournit une photo de l’objet et inscrit sur l’ordre de
travaux le nombre de perles avant réparation. D’une parano qu’il a fait naître
lui-même jaillissent des questions comme « mais pourquoi, il l’a pas pesé ? ils peuvent en échanger une ou deux
contre du toc ? ».
Persuadé de
maîtriser la langue, on en rabat un peu quand on répète trois fois à un jeune
serveur peu coopératif qu’on veut un bretzel, pour devoir finalement le lui
désigner du doigt (alors que la veille, le type dans la rue avait très bien
compris, d’ailleurs il ne vendait que ça), ou quand ayant commandé un
« apple juice » on voit le barman s’emparer d’une bouteille d’Aperol
avec un sourire de connivence, ou quand après plusieurs demandes infructueuses
pour faire comprendre qu’on cherches la statue de Duke Ellington, on finit par
renoncer à aller la voir.
Allant boire une
boisson alcoolisée au Hard Rock Café, flatté d’être obligé de fournir un Id
pour prouver qu’on a atteint l’âge légal, on entend de la bouche de la barmaid
que « It’s the house policy ». « Bon, ça va, on sait bien qu’on
fait plus de 21 ans », pense-t-on très fort.
Bob Dylan, toujours
actif sur scène (mais cette année pas en France) arrondit ses fins de mois et
la vente de son discours de réception au Nobel (pour les nuls ou les amnésiques
rappelons le prix de 2500 euros l’exemplaire autographé) en sponsorisant un
whisky (ou plutôt « a collection of American Whiskies that in their own
way tell a story ») dont les bouteilles sont ornées de motifs en relief
inspirés de ses sculptures (pour les nuls : oui, il sculpte). Avisant un local
attablé qui arbore un T-shirt à l’effigie du vieux barde, on s’enquiert d’un
endroit pour acheter la mixture. Malheureusement, c’est visiblement de notre
bouche et à l’instant que l’interpellé apprend le nouveau business de Dylan. Il
fait quelques recherches « Pour ce prix-là, il a intérêt à être
bon ». On pense qu’il parle du whisky, même si quelques esprits chagrins
se permettent la même remarque sur les concerts du chanteur. C’est finalement
totalement par hasard qu’on tombe chez un marchand de spiritueux sur une
bouteille de chacune des trois variétés de « heaven’s door » dont on
ramène celle qui nous paraît le plus richement décorée.
Philadelphie est
célèbre pour Benjamin Franklin, la Liberty Bell (vieille cloche fêlée mal
réparée), Ricky Balboa, les bretzels chauds et moelleux, les cheese steak qu’on
achète sur le marché mormon, et quelques musées.
Albert C. Barnes médecin, chimiste, pharmacologue et
surtout entrepreneur y fit fortune en concevant puis commercialisant, au début
du XXème siècle, un antiseptique qui soignait les maladies vénériennes. Cela
lui permit de procéder à une accumulation de toiles qu’il accrochait lui-même
dans sa villa de vingt-trois pièces, à raison d’une centaine par pièces. Le
type qui avait le nez fin vendit son entreprise un an avant le krach boursier
et l’invention de la pénicilline. Grâce à lui et quelques autres, on peut, à
Philadelphie, admirer les originaux de tous ces peintres bien de chez nous qui
font la fierté de la France : Van Gogh, Picasso, Magritte, Kandinski ou
Soutine.
Un citadin imagine difficilement
accoutrement moins seyant (c’est une litote) qu’un coupe-vent à capuche et une
paire de sandales en plastique.
Mais il imagine aussi difficilement, voire
pas du tout, être obligé de se promener plusieurs heures par jour sous une
pluie diluvienne qui traverse jusqu’à l’os son élégante veste en toile marine
garantie imperméable (tu parles !) et donne à ses belles chaussures en
cuir retourné une tenace odeur d’égout qui le poursuit jusque dans sa chambre
d’hôtel. C’est pourquoi, à Philadelphie, il décide de s’équiper des deux accessoires
qui n’autoriseront l’eau qu’à se faufiler entre les doigts de pied de façon
assez désagréable mais furtive.
Washington est la ville des musées, des mausolées aux présidents et aux
nombreuses guerres menées par les Etats‑Unis dans leur courte mais lourde
histoire de gardiens du monde libre.
Des statues qui les
représentent perdus, l’œil hagard et inquiet, pataugeant dans les rizières, affublés
d’un lourd barda qui entrave encore une marche déjà pénible, on imagine que les
soldats américains de la guerre de Corée ne devaient pas rigoler tous les jours
(on soupçonne même que c’est l’impression qu’a voulu donner l’artiste, pour une
fois plus porté à montrer la misère du soldat qu’à en exhorter la bravoure).
Bien qu’il fasse beau ce jour-là, on regarde quand même avec envie les larges ponchos
imperméables qui les protègent au moins de quelque chose.
A lire quelques slogans imprimés sur les
produits locaux, du T-shirt à la mug en passant par le magnet :
« Keep cool and resist Trump », « 2020 anything but
Trump », on imagine sans trop de mal une transposition au contexte
français.
Les quelques
indigènes avec qui on échange quelques mots sont unanimes à se lamenter de la
présence de l’individu en question (celui de la maison blanche car il est peu
probable qu’ils aient seulement entendu parler de l’autre auquel nous faisons
finement allusion). Mais Washington n’est pas les Etats-Unis.
A Dublin, à pâques en 2017, on avait
subi le « Good Friday » mais on avait également, pas tout à fait par
hasard et plutôt comme suite à quelques recherches
infructueuses sur la côte ouest, visité, encore sans succès, un magasin Magee,
spécialiste mondial du Donegal Tweed à la recherche d’un manteau de leur fabrication
de la bonne couleur et de la bonne taille. Comme on s’était entendu répondre
non sans pertinence que le manteau était plutôt un article de la collection
d’hiver, on avait plaisanté sur l’idée de revenir spécifiquement en hiver.
L’année 2018 manquant de s’écouler sans Irlande, et les plaisanteries les plus
courtes étant les meilleures, on embarque donc pour Dublin en octobre, qui n’est
pas l’hiver, même à Dublin et la première journée suffit à l’acquisition du superbe
Donegal Tweed Corrib Quilted Raglan Coat. On trouve fort heureusement de quoi
s’occuper pendant la semaine qui suit, entre pubs et musées, Guinness et
musique.
Dublin, qui n’est pas l’Irlande, a bien
assimilé le principe de l’expresso qu’il sert particulièrement ristretto. Pour
avoir l’impression de boire quelque chose, on prend, puis perd très vite,
l’habitude de demander un double dont on soupçonne qu’il s’agit seulement de la
même quantité de café avec deux fois moins d’eau.
A Barcelone, séduit
par la langouste cubaine au chocolat, et sur les conseils d’un guide touristico-culinaire
on recherche le lapin au chocolat présenté comme une spécialité locale. Sur
Google « lapin au chocolat Barcelone » ramène de nombreuses images de
lapins très majoritairement EN chocolat sous-titrés « Bona Pasqua ». Déçu,
mais satisfait de mettre Google en faute, on se contente de se gaver de tapas à
l’unité et de sangria au litre.
Pour aimer
Barcelone, il faut aimer Gaudi (contraposée : qui n’aime pas Gaudi n’aimera
pas Barcelone, à moins qu’il ne passe ses journées à chercher du lapin au chocolat
et finisse par en trouver).
De Gaudi, on admire
la Sagrada Familia, gigantesque basilique de 18 tours (sur les plans) dont 8 sont
construites. Sachant que les travaux commencés en 1882 s’achèveront en 2026
(planning d’arrivée), on pourra calculer la vitesse (moyenne) de construction
d’une tour jusqu’à ce jour, et l’accélération (supposée constante) nécessaire
pour tenir les délais. On pourra négliger le fait que les tours centrales qui
restent sont beaucoup plus hautes que celles déjà livrées. Les Barcelonais ont
le privilège d’une cathédrale largement aussi unfinished que les New-Yorkais
mais leur fierté les amène à en faire une publicité très différente.
De Gaudi, on admire aussi les
innombrables maisons, palais (avec délicieuse petite alcôve d’où la maîtresse
de maison peut assister à la messe qu’on donne au rez-de-chaussée sans quitter
sa robe de chambre, c’est quand même pratique) et parcs construits sous l’égide
de son mentor, sponsor, mécène et ami plein de tunes Eusebi Güell. Un petit
film joué par deux acteurs présente une reconstitution en forme d’hommage du
contrat moral passé entre les deux compères. L’idée forte étant que l’un prête
son talent à l’autre qui lui prêtera son argent. « Vous serez à court
d’idées avant que je ne sois à court d’argent » affirme Guëll. C’est beau
comme la rencontre de Bernard Tapie et Bernard Hinault, et conforte dans l’idée
que Gaudi n’était pas l’architecte des riches, c’était l’architecte des très
riches.
Le soir du 24 décembre, après quelques
tapas-sangria pris au bar d’un hôtel pour riches (n’abusons pas), on cherche
puis trouve où finir la soirée en s’engouffrant dans un restaurant sur la porte
duquel fleurissent les recommandations du « guide du routard ». La
nourriture est recommandable, le décor l’est moins : on est confronté à des
photos de taureaux qui s’ennuient le dimanche et de danseuses ridicules (tels
que l’ont relaté Brel et Cabrel). Barcelone n’est pas l’Espagne, c’est la Catalogne
et les arènes sont fermées, mais la corrida y a laissé quelques traces, et on
voit en sortant que le restaurant s’appelle « les toreros ».
Au musée Picasso, la section « période
bleue » est remplacée par une expo consacrée à son secrétaire poète et ami
Jaime Sabartés et surtout par un grand vide et l’on sait pourquoi.
Deux salles entières présentent les travaux que les
Ménines de Velasquez lui ont inspirés. A l’entrée d‘une d’elle un visiteur placé
derrière nous demande poliment mais fermement de nous pousser. On a juste le
temps de se retourner pour comprendre, et lui de commencer à répéter sa phrase
qu’un gardien lui intime fermement et pas poliment du tout l’ordre d’attendre
son tour, sur un ton qui laisse un doute sur le fait que Franco soit tout à fait
mort.
A la fondation Miro qui domine la ville, pas de
trace du triptyque « l'espoir du condamné à mort » et l’on sait
pourquoi.
Musique
et autres distractions
Frank Zappa n’était sans doute pas un admirateur de
Sheila (quoi que son goût au premier degré pour certaines formes de musique un
peu kitch permette le doute), mais il s’est aussi laissé photographier arborant
fièrement une paire de couettes qui rappellent la coiffure favorite de la jeune
interprète de « l’école est finie ».
C’est ce portrait que retient la
Cité de la Musique pour illustrer une série d’hommages au maître dont une
grandiose représentation de « 200 motels », délire zappesque où se
mêlent groupe de rock, orchestre symphonique, et auto-satire de la vie
dérisoire de rock star en tournée (ne frimons pas, c’est sous-titré).
A l’annonce de la tournée
d’adieu de Joan Baez, on se précipite à l’Olympia où, ému par la voix toujours
superbe et (enfin) un peu cassée qui ne la rend que plus touchante, comme par
la chaleur humaine qu’elle dégage, on verse une larme à l’idée de ne la plus revoir sur scène. Le groupe Vivendi fait bien les
choses, et une autre série de concerts est programmée boulevard des capucines
en février 2019. On cherche donc « Joan Baez à l’Olympia » pour
s’apercevoir que d’autres nostalgiques de la voix superbe et de la chaleur
humaine ont déjà réservé les places qui nous étaient dues. Heureusement (ce
n’est pas fini), on trouve très vite le Palais des Congrès où la bonne Joan
ayant rempli l’Olympia se réfugie quelques jours plus tard à peine, et c’est
donc pour cette salle qu’on commande et reçoit les précieux billets qu’on range
dans le tiroir ad hoc, mais ce n’est pas fini.
A l’insupportable salle Paris La Défense Arena
(ci-devant U Arena) de Nanterre (où, hors la fosse, la
meilleure place se trouve à un bon 100 mètres de la scène) se produit un Paul
McCartney totalement décomplexé qui ose interpréter Obladi oblada. « Comment
peut-on encore oser interpréter cette daube 50 ans après ? » se
demande le spectateur qui se surprend finalement (ou fait semblant de se
surprendre) à hurler en chœur les aventures de Desmond et Molly in the market
place. Le concert se termine sur le
flamboyant triptyque « Golden slumbers », « carry that
weight », « the end ». C’est beau comme la face 2
d’Abbey road… oui, justement.
Comme très indirecte mais un peu complexe, mais
finalement assez directe et pas si compliquée que ça conséquence de la crises
des gilets jaunes, on se retrouve en couple à aller applaudir l’ONJ au « théâtre
71 », métro plateau de Vanves, (pour les nuls, l’ONJ étant l’orchestre
national de jazz créé à l’initiative du ministre de la culture Jack Lang, ce
qui ne nous rajeunit pas, il eût été assez naturel qu’un des membres du couple
se rendît au spectacle et l’autre point, car dans « orchestre national de
jazz », il y a « jazz ».).
Pas par accident, mais bien pour la réputation du
lieu, on se rend aussi en couple à une soirée au « Village Vanguard »,
métro 14th street, où le jeune pianiste fait forte impression et nous dédicace
un disque sur lequel il ne joue pas.
Au petit palais, une exposition Miro montre le triptyque « l’espoir du condamné à mort » qu’on ne s’étonnera pas de ne pas retrouver ailleurs et (de façon assez symbolique) quelques paysans coiffés de petits bonnets rouges catalans. On aime tellement qu’on s’abonne au musée et y retourne deux fois.
C’est à la sortie de la
troisième visite de bonnets rouges qu’on tombe fortuitement sur des gilets
jaunes jouant ce qu’on n’appelait pas encore l’acte I. La manifestation sur les
Champs-Elysées est bon enfant, mais on est quand même embarqué dans ce qu’on ne
peut appeler une charge, mais a minima une avancée énergique de C.R.S d’où il
ressort qu’il ne faut pas rester là, et remonter fissa jusqu’à l’étoile et
c’est comme ça parce qu’on vous le dit.
A Orsay, une exposition Picasso focalise sur la période bleue (la plus noire) qu’on ne s’étonnera pas de ne pas retrouver ailleurs. On aime tellement qu’on s’abonne au musée et qu’on n’y retourne pas.
Travaux
et aménagements
La chaudière commençant à donner quelques signes de
faiblesse, on signale le fait à l’homme de l’art venu faire moyennant finance
son petit contrôle de routine annuel. D’un air pénétré, il annonce « je
vois ce que c’est, ce serait prudent de changer le schmilblick central, je vous
envoie un devis » (Pour les non nuls en chaudière, dont nous ne sommes pas,
précisons que la pièce à changer ne s’appelle pas réellement schmilblick mais
que nous en avons totalement oublié le véritable nom, juste eu le temps de comprendre
à demi-mot que ça risquait de douiller grave). Quand au bout de trois semaines,
le devis n’est pas arrivé, la chaudière se sentant délaissée manifeste sa
désapprobation en laissant fuiter quelques litres d’eau, sans doute via le
schmilblick central. On coupe l’eau et rappelle le plombier non sans lui faire
remarquer qu’on attend de ses nouvelles depuis quelque temps « ah oui,
bien sûr, on a été surchargés ces temps-ci, et ah non bien sûr je ne peux pas
vous envoyer quelqu’un aujourd'hui mais je vais essayer pour demain, je passe
la commande, je peux pas vous laisser comme ça, je
comprends, en attendant je vous conseille de couper l’eau ».
C’est vraiment dès le lendemain
que revient l’homme de l’art à qui on demande inquiet s’il est venu avec la pièce.
A sa façon de répondre que « non, on vient juste de la commander, j’espérais
l’avoir aujourd'hui », on comprend vite que personne dans l’entreprise ne
s’est soucié de la moindre commande du moindre schmilblick. « Mais je peux pas vous laisser comme ça, je comprends, je vais
regarder un truc ». La tension devient palpable quand en quelques gestes
d’une précision chirurgicale est extrait un vieux joint tout ruisselant et
pourri. « Je vais voir si j’ai le même » dit l’homme, conscient que
de la présence ou non du joint dans son ambulance, pardon sa camionnette dépend
le destin de la chaudière. « Je pense que ça va aller » affirme-t-il
en revenant d’un air encore soucieux mais confiant. Bref, la réparation se
termine en quelques minutes, le temps qu’il faut pour remplacer un vieux joint
par un neuf. « Ah ben vous avez eu de la chance, finalement, ça va juste
vous coûter le déplacement ». On vérifie au passage la facture sur
laquelle le prix du joint (assez dérisoire il est vrai) n’a pas été oublié. On se
remémorera longtemps cette aventure exceptionnelle où les travaux réalisés s’avèrent
coûter moins cher que les travaux initialement prévus.
Rue des Dames, toujours
sinistrée par une autre fuite d’eau, dont on allait bientôt fêter les deux ans,
on finit par recevoir l’expert de l’assurance (sans trop bien comprendre ni de
quoi il est expert ni de quelle assurance il est représentant). Il ouvre les
documents qu’il a enfin rassemblés et, bien calé dans son fauteuil, loin des
dégâts, barre (d’un air expert) une ligne du devis de l’électricien en
commentant son geste d’un « ça vous n’en avez pas besoin » et propose
de signer l’accord qui débloquera les fonds, ce que l’on fait hic et nunc de
guerre lasse à défaut bon cœur. Sans surprise, l’électricien convoqué pour les
travaux campe sur sa position d’artisan blessé dans son honneur et refuse
d’effectuer la réparation sans que le schmilblick faisant l’objet du litige ne
soit installé (pour les non nuls en électricité, voir plus haut). On en sera
quitte pour payer le devis complet, plus un déplacement ; parce que vous
comprenez, du coup, je suis obligé de revenir, j’ai pas
la pièce sur moi.
Pour le plaisir de lâcher
quelques jugements définitifs sous le coup de la colère, on choisit de répondre
à l’enquête de satisfaction qu’envoie le prestataire.
Vaste
monde cruel
1er mars : Frédérique Vidal ministre de
l’enseignement supérieur déclare que « c’est le lycéen qui choisira
qu’est-ce qu’il veut faire ». Pour préciser la pensée de Madame La, on ajoutera que, par exemple, si qu’il veut devenir
celui qui sait la grammaire, qu’est-ce qu’il étudiera, c’est la grammaire.
De plus haut encore, viendra un conseil pratique
dont on retient que les cours en question ont de bonnes chances d’être
dispensés de l’autre côté de la rue.
14 juin : on note cet autre conseil du
Président dont on regrette un peu qu’il n’ait pas été plus écouté « Il faut
prévenir la pauvreté et responsabiliser les gens pour qu’ils sortent de la pauvreté ».
C’est vrai qu’avec la disparition de l’isf, il faut
être particulièrement crétin et irresponsable pour rester pauvre, puisque ça ne
coute plus rien d’être riche.
Ça n’a pas échappé au Canard Enchaîné,
qui lui-même le tient d’une confidence au Figaro « il connaît le langage
du foot , alors il leur a parlé en footballeur,
il leur a dit qu’il fallait ramener la Coupe ». Autrement dit, . Nous sommes ici avec la Coupe, la Coupe en France, la
Coupe gagnée, gagnée par Emmanuel Macron avec le concours de deux douzaines de
gaillards en short, gagnée par le Président qui se bat. C’est-à-dire le seul
Président, le vrai Président, le Président éternel.
On se trouve dans l’avion pour
New-York quand le président éternel gagne la coupe. Passée l’inquiétude qu’une
de ces exubérantes manifestations d’enthousiasme qu’affectionnent les
supporters ne mette en péril l’étonnante stabilité de l’avion (Car comme disait
Cavanna « Dans un avion en vol, il suffit qu'un seul des passagers se
mette brusquement à penser : "C'est pas possible
! Un gros machin comme ça ne PEUT PAS tenir en l'air ! Normalement, il doit
tomber..." pour qu'aussitôt l'avion tombe comme une pierre ».),
passée donc, on se rendort, se croyant, au pays du football avec les mains à
l’abri de toute référence au soccer avec les pieds. Il n’en sera rien, et quand
on s’annonce Français, il n’est plus question -au moins en juillet 2018- de la
tour Eiffel, de Maurice Chevalier ou du papy qui a bien connu la Normandie,
mais de world cup et de congratulations.
Quand on essaie d’expliquer que peu nous en chaut, (déjà
que c’est pas facile à traduire en américain, langue
assez frustre) on s’aperçoit que, face à un tel objet de fierté nationale, une telle
absence de patriotisme -concept déjà difficilement assimilable par un Français-
est tout à fait hors de portée d’un cerveau etazunien. On se contente donc de
remercier, plein de reconnaissance, et si l’interlocuteur tente de commenter la
rencontre, on prend l’air marri de ceux qui ont encore du mal à se remettre
d’avoir été privés de match.
Finalement, pas de chance pour
manu qui se voit privé de sa victoire par un barbouze tabasseur dont on
apprendra plus tard qu’il pourrait jouer à la belote avec ses faux passeports.
(Mais resterait un peu court pour le bridge).
En fin d’année, la température du week-end devient
le nombre de porteurs de boules de pétanque arrêtés préventivement.
On se résigne à classer le très
beau et très nerveux “75” de Jacques Higelin dans la catégorie « disque
noir-testament ». On regrette Rachid Taha dont la reprise en arabe de
« rock the Casbah » a mérité un hommage des Clash, et Didier Lockwood,
jeune violoniste né en février 56 (ben dis-donc) qui avait conduit son
éclectique carrière de Magma à Patricia Petitbon, en passant par Higelin.
31
L’année se termine à Saint-Malo, d’où on pousse une virée
jusqu’à Cancale, afin d’y déguster quelques huîtres qu’on apprécierait sans
doute mieux si on aimait les huîtres, mais Cancale c’est Cancale (pour les nuls
qui ont du mal à comprendre la démarche, précisons que « Cancale, c’est
Cancale parce que c’est les huîtres »).
Errare humanum est
France
Galle, ceux-là même, d’humidié.
Activité culturelle
Il
faudra quand même retourner au grand palais et à Orsay, ne serait-ce que pour
amortir les abonnements.
Projets et voyages
Aller à Strasbourg, car on s’est aperçu en cherchant
la date du concert de Joan Baez qu’il y avait plus d’un Palais des Congrès en
France et que celui où l’on avait réservé était celui de Strasbourg (on ramènera du
Gewurtz et on dégustera des bretzels chauds et croustillants.).
Aller boulevard Poissonnière (c’est là que Dylan fera son retour
en France).
Aller au pays du Tamagoshi, de Nikon, du Sepuku du soleil levant,
des belles alanguies souriantes qui font des selfies sur les monuments au mort,
du fisc qui n’a pas l’air de rigoler beaucoup avec les fraudeurs et du soleil
levant.
Vaste monde cruel
Dakar : Un spectateur a eu le fémur fracturé en étant percuté
par un camion de course. Le conducteur du poids lourd a été expulsé car il ne
s'est pas arrêté après l'accident. Quand on sait que l’homme regardait la
course en dehors des secteurs protégés, on trouve bien sévère l’élimination de
ce pauvre pilote que le choc provoqué par le hors-la-loi avait déjà pénalisé en
lui faisant perdre de précieuses secondes (selon une loi mécanique
indiscutable).
Fidèle à sa réputation de
communicant, le président comprend vite qu’agiter un peu d’air en bras de chemise
à Grand Bourgtheroulde (déjà rien que penser à un bled pareil, faut être fort)
rappellera son côté Kennedy trop-cool du XXIème siècle et le fera remonter dans
les sondages plus sûrement que de s’engager à la moindre avancée sociale. Mais
c’est à Versailles, sans doute plus facile d’accès pour le GPS de ses invités
qu’il recevra les seules 150 personnes capables de trouver des solutions à
l'emploi et à l'investissement.
Parent numéro 1 : Hélène. Bisous et bonne santé.
Parent
numéro 2 :
Didier. Bisous et bonne année.